Life Is Strange.
Je quitte le jeu. Pose mon casque sur la table. Prends une bouffée d'air et m'allonge sur mon lit. Les mots et les émotions arrivent à toute vitesse.
Estomaqué. Heureux. Horrifié. K-O. Satisfait. Triste. Souriant. Larmes aux yeux.
Comme quand on finit une longue série de livres, de jeux ou une série TV. L'impression d'avoir avancé, d'avoir vibré, d'avoir été triste et enfin d'avoir conclu une histoire.
Ce jeu narratif à choix à conséquences est un de ceux qui vous retournent le plus la tête, l'estomac et l'esprit.
Vous incarnez Maxine Caulfield, jeune étudiante de 18 ans dans une académie américaine située dans l'Oregon. N'ayant pas vu votre meilleure amie Chloé Price depuis 5 ans, le destin vous fera la rencontrer par pur hasard. C'est à l'issue de cet évènement que vous découvrirez un pouvoir, celui de remonter le temps et ainsi de changer les choses, pour le passé, le présent et inévitablement, le futur.
Life is Strange s'apparente en premier lieu à un banal jeu fictif, racontant l'histoire d'une jeune étudiante stéréotypée ( la jeune 'geek' introvertie, timide et passionnée de photographie ) qui va rencontrer après 5 ans d'absence sa meilleure amie, devenue Punk aux cheveux bleus et au corps tatoué & percé. On a affaire d'abord à de banales histoires d'étudiants, entre fêtes douteuses, harcèlements et drogues, le tout parsemé d'un établissement et d'une ville clichés.
En effet, vous aurez tous les stéréotypes de personnages : les bourgeois pleins aux as dirigeant la ville, se comportant de manière ignoble avec les autres ; les jeunes filles en mal de social qui vont tenter de s'immiscer dans la vie de ces bourgeois ; l'étudiant timide, gros et à lunettes, mais plein de qualités artistiques, bien qu'il peine à avoir confiance en lui ; l'étudiante catholique, à cheval sur les traditions et le respect, qui va se retrouver malgré elle dans la tourmente ; etc
Cela ne s'arrête pas ici, et on peut aussi voir des personnages adultes comme l'ancien militaire reconverti en agent de sécurité, se comportant encore en soldat ; ou le proviseur corrompu par les parents bourgeois.
En soit, Life Is Strange présente un cadre banal, typique d'une série B ou d'un film Hollywoodien pour adolescents. Cependant, le jeu, traite très bien ces thèmes et apporte une grande maturité à travers des cas classiques ( la jeune fille rebelle en dispute avec son père, le harcèlement au sein de l'académie, etc ) qui sont finalement tournés de manière tellement réaliste qu'on éprouve des frissons à l'idée même devoir prendre certaines décisions.
Bien évidemment, il convient de parler de cette notion de choix laissé au joueur : la trame principale et tout ce qui est secondaire sont à vous, vous êtes en mesure d'orienter le jeu tel que vous l'entendez. La narration est telle qu'il est rare de se dire 'moi j'aurais plutôt pris ça mais il existe pas ce choix'. L'immiscion est totale, si vous entrez dans le jeu, vous n'en ressortez pas l'air niais, mais plutôt l'air songeur.
Car oui, Life Is Strange fait réfléchir. A la fois sur des thèmes simples mais également sur des thèmes philosophiques, comme la notion de temps, d'effet papillon ; voire religieux, avec la rédemption, le suicide, le pardon. Le scénario, au fil des épisodes, aborde ces thèmes de plus en plus sérieux, et vous amènera à prendre des décisions qui regorgent d'humanité. On se dit tous dans ces situations ' ça doit pas être si dur, moi j'aurais fait ça' ; mais dans le jeu, vous n'aurez plus aucune notion de virtuel ou de réalisme : les 2 se mélangeront au final vous prendront aux tripes.
Rares sont les jeux qui suscitent autant d'émotions, autant de culpabilité, de satisfaction, de tristesse... de nombreuses décisions sont déchirantes et font culpabiliser le joueur. La maturité de la trame grandira au même titre que les personnages eux-mêmes. Le final est quant à lui d'une tristesse absolu, quelque soit la fin choisie. Il n'y en a d'ailleurs ni bonne ni mauvaise : seules les décisions prises dans le jeu vous feront choisir l'une ou l'autre. Avec du recul, je vois tous ces ensembles de choix comme des chemins spirituels, n'ayant aucune limite temporelle ou matérielle ; un peu comme le jeu en lui-même, avec une héroïne capable de traverser l'espace temps, au point d'un changer les règles et d'en modifier les évènements. Ce thème est récurrent dans le jeu, et ma seule réaction est me dire qu'il faut profiter de l'instant présent.
Il s'agit probablement de la morale du jeu, qui fait comprendre que la vie peut prendre des tournures tragiques, mais qu'elle recèle de moments de bonheur. Les 2 fins vous font comprendre cela, en vous permettant d'apprécier le passé, le présent mais également le futur : ce futur ne dépend d'ailleurs que vous et votre sens de la morale.
Life Is Strange est à mes yeux une réussite scénaristique, jouissant d'une grande maturité sans pour autant être moralisateur. Il puise sa force dans son réalisme et ses lignes de dialogue aussi bien tragiques qu'hilarantes, et ses choix permettant au joueur de tracer sa propre voie. Tous les personnages se révèlent attachants, aussi bien ceux de premier plan, ceux de second plan ainsi que tous les autres. De même, la possibilité d'avoir les commentaires l'héroïne sur chaque objets du décor ( aussi insignifiants qu'ils soient ) et la possibilité de dialoguer avec presque tout le monde renforcent l'immersion. Vous aurez envie de tout savoir sur tout, afin de vous mettre réellement dans la peau de Max.
Cependant, il existe quelques points négatifs, qui relèvent surtout d'un point de vue personnel.
- Les 2 fins proposées sont satisfaisantes, magnifiques mêmes. Mais ce qui m'a un peu déçu, c'est leur pré-détermination dès le début du jeu : je veux dire par là, que vos choix n'interviennent pas ( ou très légèrement, sur la dernière action du jeu, qui est mineure ) et que par conséquent, vous serez amené(e) à prendre votre décision en tenant juste compte de ce que vous avez fait, en vous demandant si par rapport à vos actes, cette fin ou l'autre semble plus logique. J'aurais apprécié plus de personnalisation de la fin.
- Les dialogues sont en anglais et donc retranscris en français via les sous-titres. Cependant je dois dire que les sous-titres retirent beaucoup au scénario : beaucoup de jeux de mots sont gommés et transposés différents ; de même de nombreuses phrases sont tout simplement remodelées, sans nécessité apparente. Un détail, mais pour ceux qui aiment les VO, il peut être frustrant de voir des traductions arrangées au maximum.
- A plusieurs moments dans le jeu, vous devrez faire des mises au point de photo. Au final, ces phases se révèlent particulièrement harassantes et coupent net le rythme. Encore une fois, un détail mais qui peut déranger.
Je pense avoir fait le tour du jeu : vous l'aurez compris, Life Is Strange est calme, posé et envoûtant. Il délaisse les phases de mouvements pour présenter un maximum de cinématiques - dialogues avec un nombre de choix à chaque fois très important ( peu importe le type de choix ; 'oui ou non' 'dire la vérité ou non' 'prendre le parti de X ou de Y' etc ). Ce jeu m'a sans nul doute remué, et j'hésite encore à recommencer une partie dès maintenant ou à laisser le temps passer. Aujourd'hui, j'en suis à me poser des questions diverses, sur l'infinie, la temporalité ou l'amitié. Ironique quand je repense au fait que j'ai récemment relancé Bioshock Infinite et ses DLC, qui traite tout particulièrement de ces notions de temps, de réalités parallèles et changement du passé pour le présent et le futur.
